MANNING – One Small Step
Royaume-Uni – Progrock Records– 57: 47
Mine de rien, voici déjà le septième album de Guy Manning depuis sa
première réalisation en 1999. Eh oui, vous ne vous trompez pas, à ce
rythme là cela donne bien un disque par an ! Pas mal, quand on sait que
ce multi-instrumentiste britannique n’est pas non plus avare de ses
services, puisque sa collaboration déjà ancienne avec Andy Tillison (souvenez-vous
de Parallel And 90 Degrees) l’amène à participer régulièrement aux
albums de The Tangent. Avec une pareille référence, inutile de dire que
le talent est aussi au rendez-vous, et que chacune de ses productions
s’avère de grande qualité. Comment se fait-il, dans ces conditions, que
l’on ne parle pas plus souvent du bonhomme, aussi bien dans nos colonnes,
d’ailleurs, que dans l’ensemble du microcosme progressif ?
Sans doute est-ce parce que Manning œuvre à la frontière des genres,
dans un style qui, sans être foncièrement révolutionnaire, peine à
rassembler un public homogène. La marotte du Monsieur, c’est en effet
une sorte de folk- progressif «old-school», qui n’est pas sans rappeler,
à bien des égards, la patte de Ian Anderson. Un rapprochement d’autant
plus inévitable que la voix de Guy Manning, chaude et veloutée, semble
adopter de plus en plus les mêmes intonations que celle de son illustre
modèle. Par ailleurs, notre homme possède un don évident pour composer
des mélodies immédiates et accrocheuses («catchy», comme disent les
anglophones), aussi à son aise dans de délicieuses pop-songs qu’au
format «suite à tiroirs» plus typiquement progressif.
Comme sur certains de ses prédécesseurs (The Ragged Curtain, ou A View
From My Window), One Small Step offre un panel de compositions assez
contrasté, avec d’une part une série de chansons suaves et sophistiquées,
et d’autre part une pièce de résistance de plus de 30 minutes,
constituée cette fois de huit sous-parties étroitement imbriquées (honnêtement,
il me semble entendre ici un «tout» parfaitement homogène). Dans le
premier exercice – le format folk-song, donc -, Manning fait preuve d’un
savoir-faire tellement rodé qu’il atteint tout simplement le sans faute,
d’autant qu’il se voit une nouvelle fois entouré de nombreux invités,
conférant à ses compositions une grande richesse sonore (saxophone,
fiddle, guitare électrique, sans compter les instruments assurés par le
maître de cérémonie lui-même, dont la mandoline, les guitares
acoustiques, l’accompagnement rythmique et les claviers, aux timbres
agréablement analogiques). Depuis «In Swingtime», qui ouvre l’album sur
une rythmique entraînante, traversée par de fluides épanchements de
saxophone, en passant par les fragiles ritournelles folkisantes de
«Night Voices», jusqu’au très country «Mexico Lines», la qualité de
l’écriture est aussi irréprochable que l’interprétation elle-même
(mention spéciale pour le pont instrumental débridé de «No Hiding
Place»…).
En ce qui concerne le format étiré, j’avoue ne pas avoir été, jusqu’à
présent, totalement convaincu par le travail de Manning, la faute à des
structures trop linéaires et distendues à mon goût pour capter
l’attention de bout en bout. Si cette observation s’applique encore une
fois à la pièce qui nous est ici proposée (et qui donne son titre à
l’album), ses implications négatives sont toutefois de moins en moins
pertinentes. Sorte de longue méditation sur le futur spatial de
l’humanité, tapissée de langoureux accompagnements de guitare acoustique
et ponctuée par un violon expressif, «One Small Step» possède un pouvoir
hypnotique particulièrement ensorcelant. Cette longue ballade
atmosphérique, d’une sérénité presque contemplative, se résout à la
20ème minute par un somptueux break instrumental, dans lequel guitare
électrique, flûte (assurée pour l’occasion par Martin Orford himself),
orgue et saxophone s’entremêlent sur des arabesques planantes en diable.
Rien que pour ce magnifique final, cette pièce mérite vraiment le détour.
Bref, One Small Step ne révolutionne ni le genre progressif, ni le
propre répertoire de son géniteur, mais consolide son édifice
discographique de manière fort probante, dans un sens toujours
ascendant. Si le talent de song-writer de Manning ne fait plus de doute,
on peut toutefois encore espérer le voir développer ses penchants
progressifs avec une inspiration plus contrastée. En attendant, le
présent album enfonce le clou avec un tel brio qu’il serait irrationnel
de se faire du souci pour l’avenir. Honnêtement, «Manning» et «qualité»
sont pour moi deux termes si étroitement associés que je ne l’imagine
pas capable de décevoir son public… à moins de le lasser à force de
professionnalisme. De la belle ouvrage, vraiment !
Olivier CRUCHAUDET
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